Sur les réseaux sociaux, dans des mises en scène rétro rose bonbon ou en plein coeur de la nature, elles prônent un retour à «la vie d’antan», défendent une assignation genrée des rôles au sein de leur foyer et rejettent le féminisme… Mais qui sont réellement les tradwives ?

Un « retour aux sources »

Après les deux guerres mondiales, l’Europe décimée met en place des politiques natalistes. Les femmes (surtout issues des classes les plus favorisées) [1] ont alors été écartées du monde du travail pour se consacrer pleinement à la famille et à la gestion du ménage. Dès le secondaire, des jeunes filles sont envoyées en « école ménagère »[2], l’une des rares filières d’enseignement qui leur est alors accessible.

Ce conditionnement crée une division genrée et inégalitaire entre les femmes et les hommes. Les femmes, sans revenus, sont alors dépendantes financièrement de leurs maris et cantonnées au foyer.

Dans les années 70, les mouvements féministes de la seconde vague remettent en question cette assignation genrée. Elles défendent un modèle où les femmes doivent pouvoir disposer de leur corps et être indépendantes financièrement, socialement et intellectuellement. Bien qu’encore patriarcale et inégalitaire, notre société a profondément muté ces 50 dernières années et c’est notamment grâce aux mouvements féministes que nous tentons aujourd’hui d’atteindre l’égalité.

Pourtant, depuis quelques années, le mouvement tradwives souhaite revenir au modèle d’avant. Contraction des mots traditional et wives (soit épouses traditionnelles), ce phénomène a vu le jour aux États- Unis et en Angleterre dans les années 2010. Ce mouvement, majoritairement composé de femmes blanches et aisées4, a connu un important essor sur les réseaux sociaux lors de l’élection de Donald Trump en 2016, mais aussi lors de la pandémie de Covid-19 quand chacun·e était assigné·e à son domicile. Certaines exploitent l’esthétique des années 50, tandis que d’autres évoquent un retour à la nature dans des vidéos particulièrement abouties sur le plan technique.

À travers des conseils cuisine, des contenus lifestyle ou des tutos beauté les tradwives prônent une dévotion complète à leur mari et à leurs enfants ainsi qu’un réinvestissement total au sein du foyer. Elles font ainsi passer leurs propres besoin au second plan. Contrairement aux années 50, les tradwives choisissent ce retour à un mode de vie traditionnel et le défendent comme modèle de société plutôt que comme une obligation.

Les tradwives : de purs produits marketing

Comme l’explique la journaliste Lucile Quillet, toutes les tradwives ne le sont pas forcément dans la vraie vie. Certaines obtenant plusieurs milliers de followers sur les réseaux sociaux y voient avant tout l’occasion de développer une activité économique lucrative en monétisant leurs contenus ou en s’associant avec des marques. Ces femmes utilisent ainsi habilement les codes visuels et narratifs des réseaux sociaux pour engranger des revenus. En jouant sur notre biais de négativité (le fameux « c’était mieux avant ») elles contribuent à fantasmer une réalité qui n’a jamais existé et produisent des injonctions à l’encontre des femmes qui peinent à gérer leur quotidien.

Non, les féministes ne dézinguent pas les mères au foyer

Si les féministes se sont battues, c’est avant tout pour prôner la liberté du choix. Pourtant, selon certaines tradwives, c’est à cause du féminisme qu’elles en sont arrivées à défendre ce mode de vie. Certaines évoquent comment l’entrée dans le monde professionnel les a chamboulées et incitées à revenir à une vie « d’avant » le féminisme. Comme l’explique le média Urbania, le mouvement tradwives est peut-être une réponse pour certaines à un sentiment d’épuisement et de lassitude.

Pour l’autrice féministe Salomé Saqué, il est important de ne pas se moquer des tradwives mais plutôt de comprendre dans quel contexte ce mouvement s’inscrit, face à certaines promesses féministes qui n’ont pas été tenues.

L’arrivée progressive des femmes dans le monde du travail n’a pas pour autant permis une réelle égalité professionnelle et au sein du foyer. Malgré des évolutions notables, les femmes sont encore victimes de discriminations sur le marché de l’emploi et restent en parallèle les principales garantes de la gestion du ménage. Leurs journées à rallonge, peu valorisées socialement, ne sont pas sans conséquence puisqu’elles provoquent stress, charge mentale et épuisement. Défendre un modèle de vie « plus simple » est alors perçu comme une solution.

Pourtant, en prônant une vision essentialiste [4], ces influenceuses normalisent un conservatisme dangereux favorisant la dépendance économique des femmes et les rapports de soumission. Idéaliser le mode de vie tradwives représente donc un violent retour de bâton (ou backlash) après des décennies de militance féministe.

Les tradwives, actrices de l’antiféminisme et de l’extrême droite

De par le mode de vie qu’elles défendent, les tradwives sont donc par essence conservatrices et antiféministes. Pire encore, certaines flirtent carrément avec l’extrême droite. En reprenant la figure de la traditionnelle mère au foyer, les tradwives représentent un terreau fertile pour disséminer les idées d’extrême droite.

Elles misent sur le pouvoir de leur mise en scène, de la romantisation biaisée de leur quotidien [5], du lien qu’elles créent avec leurs audiences et des histoires qu’elles racontent pour défendre des positionnements anti-avortement, anti-vaccins, racistes, complotistes, LGBTQIA+phobes, etc. Elles exploitent un certain opportunisme culturel pour « recruter et communiquer » (notamment auprès des femmes, base électorale plutôt résistante à l’extrême droite) comme le font les communautés masculinistes en ligne [6].

Le problème ? C’est que ces contenus réactionnaires ne sont pas forcément visibles au premier coup d’oeil. Des personnes intéressées sur les réseaux par un mode de vie alternatif, par des conseils maquillage, par une réconciliation avec son « féminin sacré » ou par des esthétiques rétro peuvent ainsi tomber dans le panneau.

Prendre conscience des mécanismes insidieux

Plus que jamais, il nous semble indispensable de militer pour une égalité femmes-hommes dans toutes les sphères du quotidien. C’est d’autant plus le cas pour celles qui se considèrent comme « les oubliées du féminisme ». Les inégalités commencent souvent devant le panier de linge sale et nous devons continuer de valoriser l’intime comme sujet politique.

Les réseaux sociaux sont des médias comme les autres et représentent donc un espace public à part entière. Par ce prisme, il nous semble essentiel de prendre part à cet environnement numérique en continuant de dénoncer/de déconstruire les discours antiféministes et réactionnaires.

Nous souhaitons ainsi croiser les enjeux féministes à ceux de l’éducation aux médias en invitant nos publics à un regard critique quant à leurs usages. Elles·ils pourront ainsi prendre conscience des mécanismes insidieux qui se trament derrière une vidéo en apparence inoffensive.

[1] Il est essentiel de rappeler que les femmes ont toujours travaillé à travers les époques.

[2] Dans les écoles ménagères, les jeunes filles apprennent notamment à repasser, à faire la cuisine, à s’occuper des enfants…

[3] Les tradwives sont généralement des femmes qui peuvent subsister avec un seul salaire et sont donc des femmes plutôt privilégiées.

[4] « Courant de pensée selon lequel les individus sont entièrement définissables par leurs caractères dits essentiels (sexe, origine ethnique…) ». Les femmes seraient ainsi par essence plus aptes à gérer le foyer et les enfants tandis que les hommes seraient par essence des pourvoyeurs de fonds. Source : Dictionnaire Le Robert.

[5] Les réseaux sociaux permettent en effet de montrer une vision tronquée de la réalité grâce aux choix des contenus produits et au montages réalisés.

[6] Pour en savoir plus : Analyse 2024 – Pourquoi le masculinisme devrait tou·te·s nous inquiéter – Soralia.

Autrice
AutriceElise Voillot