
Manque structurel de places, données incomplètes, personnel en voie de disparition, mesures discriminatoires… tels sont les grands défis du moment rencontrés par le secteur de l’accueil des enfants de 0 à 3 ans, en crèche ou à domicile, en Belgique francophone. Passons-les en revue pour dresser un portrait de la situation et appeler nos élu·e·s à agir !
Pour une couverture adaptée aux besoins
À l’heure actuelle, en Fédération Wallonie- Bruxelles, il n’y a pas assez de places d’accueil pour répondre à la demande de la population. Le taux de couverture global, à savoir le rapport entre le nombre de places d’accueil disponibles dans les milieux d’accueil (subventionnés et non subventionnés) et une estimation du nombre d’enfants en âge d’en bénéficier, est de 37,2 % à l’échelle de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ce taux descend à 28 % lorsque l’on ne prend en compte que les places subventionnées, dont le tarif est calculé sur base des revenus des parents. En d’autres termes, le taux de couverture global et le taux de couverture subventionné indiquent qu’il y a de la place pour 3 enfants sur 10 à l’échelle de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Il existe des disparités de couverture entre les différentes régions du pays, voire parfois entre les communes d’une même ville ! À Bruxelles par exemple, entre 2019 et 2021, Auderghem, Etterbeek, Ixelles et Uccle étaient mieux desservies qu’Anderlecht, Schaerbeek et Molenbeek-Saint- Jean. Certaines régions de la Wallonie se démarquent par un taux de couverture global plus élevé que les autres. C’est le cas par exemple dans les provinces du Brabant wallon, de Namur et du Luxembourg. Toutefois, cela ne veut pas dire que ces régions bénéficient d’assez de places d’accueil.
En effet, le taux de couverture est une mesure qui a ses limites, car elle ne renseigne pas sur les besoins réels des familles. En l’absence d’un outil de récolte de ces besoins, ce sont notamment les taux de couverture et l’objectif minimal de 33 % d’accueil subventionné (fixé par l’Union européenne) qui sont utilisés pour déterminer où de nouvelles places doivent être ouvertes. C’est pourquoi certaines régions du pays, malgré les besoins criants des familles, ne sont pas forcément prioritaires pour l’ouverture de nouvelles places si leur taux de couverture subventionné est déjà proche ou supérieur à l’objectif minimal de 33%.
Là est toute l’importance de mesurer les besoins des familles, car avoir de la place pour accueillir au moins 3 enfants sur 10 ne veut pas dire qu’il n’y aurait pas un besoin, dans certaines zones, d’avoir des places pour 8 enfants sur 10 ! L’Office de la Naissance et de l’Enfance (ONE) est en train d’élaborer un outil pour comptabiliser les demandes de places via une « pré-demande » en ligne (voir MyOne.be) ou via un formulaire papier. D’ici quelques années, le temps de roder le système, ces statistiques devraient permettre une ouverture plus précise des places selon les besoins des parents.
Une de perdue, mais pas encore dix de créées
En plus du manque de données chiffrées fiables, l’insuffisance de places d’accueil s’explique également par la fermeture d’une série de structures au cours de ces dernières années. La crise du Covid-19, les inondations de l’été 2021 et la flambée des prix de l’énergie ont été fatales pour certains milieux d’accueil. À noter qu’il est compliqué d’avoir un aperçu fiable de l’ampleur de ces pertes de places, tant les chiffres avancés par l’administration centrale de l’ONE, les comités subrégionaux de l’ONE et les médias divergent.
En parallèle, ouvrir de nouvelles places dans les milieux d’accueil est un processus en plusieurs étapes. Cela s’étale sur plusieurs années, du lancement d’un appel à projets avec subsides à la clé, à la remise des dossiers de candidature, la sélection des projets en passant par les travaux de construction/extension/rénovation et le recrutement des travailleuses·eurs.
Résister aux tentations
Face au manque important de places d’accueil, mais aussi de personnel pour s’occuper des enfants, beaucoup de personnes d’horizons divers sont tentées de promouvoir des solutions en apparence miraculeuses. Malheureusement, ces pistes sont problématiques à plusieurs égards.
Fausse bonne idée n° 1 : prioriser les places pour les parents qui travaillent
Cette piste est contraire aux droits de l’enfant. La Convention internationale des droits de l’enfant adoptée par l’ONU (l’Organisation des Nations Unies) en 1989 affirme que tout enfant a droit à une place d’accueil. Cela signifie que chacun·e a le droit à une place en crèche ou dans un accueil à domicile, quel que soit sa couleur de peau, sa santé physique ou mentale, son niveau de vie ou la situation socioprofessionnelle de son entourage. Peu importe que les parents travaillent, soient en formation, au chômage, au foyer, en couple homo, hétéro ou parent solo. Un accueil de bonne qualité contribue au bien-être et au développement des enfants sur divers plans : moteur, cognitif, émotionnel, relationnel. Il s’agit de la fonction éducative de l’accueil des enfants. L’accueil a aussi une fonction sociale qui est celle de réduire les inégalités entre les enfants et les familles en agissant contre la pauvreté (infantile).
Depuis 2024, en Flandre, les couples qui arrivaient à une moyenne de temps de travail ou de formation d’au moins 80 % devenaient prioritaires. Avec cette règle, une famille où l’un des parents travaille à mi-temps (50 %) et l’autre à temps plein (100 %) n’est pas prioritaire, car la moyenne des deux atteint seulement les 75 %. Or, beaucoup d’emplois où se retrouvent les femmes ne sont proposés qu’à temps partiel. Après la mobilisation d’associations et la remise de plusieurs avis négatifs de diverses instances flamandes, la Cour constitutionnelle a émis un arrêt, en avril 2025, pour annuler cette règle de priorité considérée comme discriminatoire !
Fausse bonne idée n° 2 : les crèches « exclusivement » d’entreprise
À l’heure actuelle, si une entreprise est membre du pouvoir organisateur (PO) d’un milieu d’accueil [3], elle peut demander que certaines places dudit milieu d’accueil soient attribuées en priorité aux membres de son personnel. Construire des crèches d’entreprise où seuls les enfants du personnel sont accueillis est une démarche problématique à plusieurs égards. Dans ce modèle, la mixité sociale et l’accessibilité à tous les enfants ne peuvent être assurées. Or, ces deux principes permettent de lutter contre la précarité des enfants et des familles. En outre, le fait d’obtenir une place d’accueil par le biais de son emploi peut poser problème. Quelle marge de manoeuvre pour la·le travailleuse·eur qui voudrait changer d’emploi, mais dont l’enfant a une place via le travail de son parent ? Quel vécu pour un parent en burn-out professionnel, mais obligé d’aller chaque jour sur son lieu de travail pour déposer et chercher son enfant à la crèche ? Quelle protection contre un·e employeuse·eur qui attendrait de ses travailleuses·eurs des horaires « à rallonge » sous prétexte que « la crèche est ouverte jusqu’à telle heure… » ? Quelle protection pour une victime de violences conjugales obligée d’aller chaque jour sur le lieu de travail de son agresseur (où se trouve la crèche de leur enfant) ? Confier l’accueil des enfants à des structures marchandes, c’est voir le risque de fermetures soudaines parce que l’activité n’est pas « rentable » et que les actionnaires ne sont pas satisfait·e·s.
Fausse bonne idée n° 3 : diminuer les qualifications requises pour travailler dans le secteur
Le peu d’étudiant·e·s dans les filières de l’enfance et le turn-over élevé des équipes en place (à cause des burn-out, des douleurs chroniques, des absences de longue durée, etc.) sont des facteurs de pénurie de personnel pour travailler dans les milieux d’accueil. Des sections d’âge voire structures entières doivent parfois fermer pour une période plus ou moins longue. Pour résoudre la pénurie, le monde politique pourrait être tenté d’ouvrir les emplois disponibles aux personnes faiblement qualifiées. Pourtant, accueillir les enfants et accompagner leur développement sur tous les plans nécessite une solide formation pour acquérir des compétences spécifiques. Aimer les enfants ne suffit pas pour être capable de travailler avec elles·eux. Par ailleurs, le personnel déjà en fonction craint une charge de travail supplémentaire du fait de devoir encadrer, de façon intensive, les travailleuses·eurs peu qualifié·e·s. Comment garantir un encadrement suffisant par du personnel déjà débordé de toutes parts ?
Pour des politiques familiales fortes et féministes
Malgré un portrait alarmant, la Fédération Wallonie- Bruxelles a déjà de bonnes bases réglementaires et institutionnelles pour un système d’accueil des enfants efficace, accessible et de qualité. Cependant, les engrenages ont besoin d’entretien pour assurer leur bon fonctionnement. Les coupes budgétaires annoncées ne peuvent que fragiliser l’appareil. Celui-ci a besoin, plus que jamais, d’être l’objet d’un investissement massif au service du bien-être des enfants et des familles. L’accueil des enfants est un domaine particulièrement important pour faire progresser les droits des femmes. Que ce soit pour leur permettre de travailler ou de souffler, pour favoriser l’égalité dès le berceau ou pour améliorer les conditions des travailleuses du secteur, les motivations ne manquent pas pour rallier les féministes et le monde politique à l’appel !
[3] Le PO est responsable de la gestion financière, administrative et pédagogique du milieu d’accueil. Il doit donc assurer le financement de la structure.




