
Au bord du fleuve Magdalena, la ville de Barrancabermeja abrite la plus grande raffinerie de pétrole de Colombie. Ce bastion industriel incarne un modèle destructeur, à contre-courant des urgences sociales et climatiques actuelles. Mais dans l’ombre des cheminées, une autre énergie se déploie : celle des luttes syndicales et féministes, menées par des figures comme Dibett Quintana, militante de l’Union Syndicale Ouvrière (USO), féministe, écologiste et défenseuse des droits humains.
Une écologie populaire face au greenwashing
Ecopetrol, entreprise nationale de pétrole, fait beaucoup d’efforts pour montrer qu’elle s’inscrit dans la transition écologique : recyclage, voitures électriques, réduction des déchets. Mais la réalité n’est pas aussi verte. Dibett et ses camarades qui travaillent dans l’entreprise dénoncent des pratiques qui continuent à empoisonner les sols, l’eau et l’air : « Malgré les filtrations, on rejette de l’eau huileuse, des résidus chimiques dans le fleuve et des particules néfastes dans l’air ».
À Barrancabermeja, l’impact de la raffinerie est visible partout. Le sol autrefois fertile est stérilisé par le brut. La pollution cause une perte de biodiversité et des problèmes de santé parmi les habitant∙e∙s. Les problèmes de peau et maladies respiratoires sont fréquents. Les premières∙iers touché∙e∙s sont les travailleurs et travailleuses de l’entreprise. Une étude sur la santé des travailleuses∙eurs de la raffinerie, impliquant l’Organisation Panaméricaine de la Santé et des expert∙e∙s cubain∙e∙s, a confirmé une exposition aux substances cancérigènes et un taux élevé de cancers et de malformations congénitales.
En plus de subir ces effets délétères, la population locale ne tire aucun bénéfice de cette industrie : « Là où il y a de la richesse pétrolière, il y a de la misère. Pas de soins de santé, pas d’éducation, pas d’accès à l’eau. »
Transition juste : avec nous ou sur notre dos
Face à cette situation, l’USO, partenaire de la Centrale Générale FGTB et de l’IFSI, milite pour une transition énergétique, démocratique et juste, qui ne se résume pas à un simple changement de source d’énergie. Cela implique forcément les communautés, les travailleuses et les travailleurs, car ce sont elles∙eux qui subiront les conséquences sociales et économiques de ces mutations. « Le rôle des travailleuses∙eurs dans cette transition est essentiel, mais c’est aussi le plus difficile. Nous vivons dans une société capitaliste qui n’a aucun intérêt à préserver l’environnement, mais plutôt à le détruire. La culture de la consommation et l’individualisme dominent. »
La militante dénonce l’hypocrisie du capitalisme vert : « Quand on parle de transition, le capital dit : on va fermer l’entreprise. Et les travailleuses∙eurs ? Ils et elles vont perdre leur emploi, ne plus pouvoir nourrir leur famille. Nous, on travaille à montrer qu’une autre voie est possible. » L’USO pousse pour une réflexion et un plan sur la reconversion des emplois et exige que des alternatives économiques se développent dans les territoires impactés par la fin de l’extraction fossile. Infatigable, Dibett martèle : « La transition énergétique se fera avec nous ou sur notre dos. »
Lutte contre le fracking : un front syndical et populaire
Parmi les victoires syndicales récentes, Dibett évoque avec fierté la lutte contre la fracturation hydraulique (ou fracking), qui menaçait d’envahir la région de Santander, l’une des plus sismiques du monde. « Ils voulaient injecter de l’eau sous pression pour fracturer la roche [pour extraire le pétrole qui s’y trouve]. Avec les communautés, les écologistes et le syndicat, on a fait front. La pression populaire a forcé le gouvernement à reculer. » Ce combat symbolise la convergence entre les luttes sociales et écologiques : contre les promesses mensongères d’emplois et de croissance, les habitant·e·s ont choisi la santé, la terre, la dignité.
L’USO défend aussi le caractère public de l’énergie, vital dans un pays marqué par les inégalités. Le syndicat a mené une grève historique en 2004 contre la privatisation d’Ecopetrol. Une mobilisation massive, réprimée, mais victorieuse. « Ce qui est public est à nous. L’eau, l’air, l’énergie doivent rester hors du marché. »
Être femme, syndicaliste et écologiste en Colombie
« Je suis femme, mère, syndicaliste, féministe, défenseuse des droits humains et de l’environnement. » Chacun de ces mots pèse un poids immense sur les épaules de Dibett.
Dans le pays le plus dangereux du monde pour les activistes, militer pour l’écologie et les droits au travail signifie trop souvent risquer sa vie. L’USO ne fait pas exception : depuis 1984, 126 de ses membres ont été assassiné∙e∙s. Dibett a été victime de graves violences physiques et sexuelles en raison de son engagement. S’ajoute à cette réalité révoltante la difficulté de s’engager en tant que femme, dans un monde syndical encore très patriarcal. « Entrer dans un syndicat n’était pas bien vu. Les dirigeants avaient peur que des femmes arrivent. Et une fois qu’on y est, on doit tout gérer : la maison, les enfants, le travail, les risques. Mais je ne regrette rien. Je vis cette vie en utilisant ma voix. »
Avec courage et résilience, elle s’implique aussi au sein d’associations féministes de Barrancabermeja pour lutter contre les féminicides et les violences faites aux femmes.
Écoutez le témoignage de Dibett
Cet article été rédigé dans le cadre de la campagne « JUST » sur la transition juste, menée par FOS, IFSI et Solsoc. Plus d’infos sur la campagne sur le site justcampaign.be
Solsoc est une organisation non gouvernementale (ONG) agréée par la Coopération belge au développement (DGD). Elle est l’une des organisations de solidarité internationale de l’Action commune socialiste. En partenariat avec différentes composantes de celle-ci, Solsoc soutient des mouvements sociaux en et des organisations de la société civile en Afrique, Amérique latine et au Proche-Orient afin de contribuer à un changement social progressiste, laïque et démocratique en faveur des droits humains, du Travail décent et de la transition juste.
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