Aujourd’hui, notre société est confrontée à deux phénomènes majeurs qui fragilisent de plus en plus notre équilibre démocratique. D’un côté, une droitisation des idées, des opinions et de nos gouvernements qui, peu à peu, grignote nos acquis sociaux et, à terme, nos principes fondamentaux [1]. De l’autre, une division entre deux « camps » [2] qui peinent à se comprendre et à cultiver la nuance, le débat et le compromis. Face à ce basculement, le socialisme [3], en tant qu’idéologie, ne parvient plus à convaincre. Pourtant, ce courant qui s’oppose aux inégalités et défend une répartition juste des richesses a permis des avancées notables pour toutes et tous depuis son avènement. Le rappeler permet d’illustrer que « diviser pour mieux régner » n’a jamais été porteur pour notre collectivité. Mais aussi qu’un projet d’avenir fondé sur la solidarité est non seulement envisageable mais aussi enviable, à condition de réenchanter les valeurs sociales et les narratifs qui les accompagnent.

Des combats sociaux qui ont marqué le 20e siècle en Belgique

La naissance du socialisme belge est généralement attribuée à la fondation du Parti Ouvrier Belge (POB) en 1885. Ses revendications initiales sont l’obtention du suffrage universel [4], le droit à une protection sociale et la régulation du monde du travail. Ces combats, soutenus par des forces alliées, comme les mouvements sociaux, et couplés au contexte sociétal « favorable » de l’après-guerre, aboutiront à la mise en place de législations opérant une série d’évolutions majeures en Belgique en quelques décennies. Droit de grève, accès à la pension, journée de 8 heures de travail, repos dominical, allocations familiales, indexation des salaires, etc. Si, au départ, l’objectif est de défendre les intérêts de la classe ouvrière face au patronat, force est de constater que ces progrès sociaux participent globalement au bien-être de la population belge et au développement de notre pays.

La Sécurité sociale : un mécanisme de solidarité révolutionnaire

Parmi ces grandes avancées, il en est une qui est incontournable : la Sécurité sociale. À l’époque, patrons, travailleuses·eurs et syndicats travaillent main dans la main et élaborent un système qui, encore aujourd’hui, nous accompagne et nous aide tout au long de notre vie. Ainsi, depuis le 28 décembre 1944, tout·e citoyen·ne belge bénéficie d’une protection sociale lorsqu’elle·il perd son travail ou tombe malade, et ce, de manière obligatoire. Cette Sécurité sociale, qui nous protège toutes et tous, nous y contribuons à travers les cotisations sociales [5]. Elle nous permet de payer nos médicaments moins chers, de profiter un minimum de notre retraite ou encore de bénéficier de jours de repos. Sans elle, nous devrions travailler toute l’année, sans vacances, même malades et sans pouvoir nous soigner car ça coûterait trop cher ! Et même si ce système n’est pas parfait et mérite d’être réformé (pour, par exemple, l’élargir à de nouveaux défis comme la transition écologique), « la protection sociale belge est parmi les plus puissantes du monde ».

Le travail comme source d’émancipation et non d’aliénation [6]

« Le socialisme […] a fait du travail le socle de son engagement et de sa réflexion. Il s’est distingué d’élites conservatrices qui faisaient l’apologie10 du travail tout en restant aveugles à ses effets potentiellement aliénants et inégalitaires, et le transformaient en instrument de discipline et de moralisation, de légitimation en somme d’une domination. Au contraire, le socialisme a voulu penser le travail en tant que voie de l’émancipation individuelle et collective des travailleurs ; il s’est, pour cela, penché en permanence sur sa signification et surtout sur les formes possibles de sa réorganisation. »

C’est en s’appuyant sur cette philosophie de base et en souhaitant améliorer les conditions de vie des travailleuses·eurs que les mouvements sociaux se sont battus non seulement pour réduire notre temps de travail, mais aussi pour établir des mécanismes de concertation sociale. C’est grâce à cette mobilisation acharnée, déployée lors du 20e siècle, que notre quotidien de travailleuse·eur ne ressemble plus à celui des ouvrières·iers de la fin du 19e siècle, employé·e·s 72 heures par semaine, 12 à 13 heures par jour.

Et pourtant, aujourd’hui, de plus en plus asphyxié par des logiques de productivité néolibérales, le monde du travail stagne et crée de la souffrance. Perte de sens, non-reconnaissance de la pénibilité, stress permanent, etc., le nombre d’épuisements professionnels est en constante augmentation. Signe qu’une nouvelle révolution doit se mettre en marche.

Le socialisme : une vision de société démocratique qui doit se réinventer

Comme l’indiquent Sarah de Liamchine (directrice de Présence et Action Culturelles) et Édouard Delruelle (professeur de Philosophie politique à l’Université de Liège), le concept de démocratie va nécessairement de pair avec la capacité pour toutes et tous de participer à la vie sociale, citoyenne et culturelle. Cette participation n’est envisageable que si toutes et tous nous avons accès à une vie digne, et donc que nos besoins de base sont rencontrés. Or, seul un projet fondé sur la justice sociale, et donc la solidarité et la démarchandisation14 des biens qui relèvent de l’intérêt général (santé, éducation, nourriture, énergie, etc.), peut, aujourd’hui, prétendre parvenir à cet objectif.

Historiquement, les forces socialistes (partis, syndicats, mutualités, associations) en Belgique ont poursuivi cette ambition. Elles ont porté des idéaux sociaux qui se sont concrétisés et ont révolutionné notre société. Ces grandes victoires progressistes pour toutes et tous doivent continuer à nous inspirer, tout en nous forçant à l’autocritique. Quels combats menons-nous aujourd’hui pour lutter efficacement contre la pauvreté ? Quels espoirs (et histoires) insufflons-nous auprès de la population ? Quels liens créons-nous entre les personnes les plus vulnérables et la classe moyenne ?

Nous sommes en mesure de changer le monde, nous l’avons déjà fait. Pour y arriver, le progrès social, à travers la solidarité, doit être notre boussole commune. Une aspiration à contre-courant de la philosophie néolibérale qui favorise et protège une classe socio-économique au détriment de toutes les autres, et surtout des plus vulnérables [7]. Ce projet-là ne bénéficiera toujours qu’à une minorité. Alors, à gauche, réinventons-nous et engageons-nous sur le terrain avec des propositions à la hauteur de notre histoire.

[1] Tels que la liberté d’expression, le principe de non-discrimination, l’État de droit, etc.

[2] Entre autres, comme le démontrent les enquêtes de la Fondation « Ceci n’est pas une crise », une population qui aspire à un repli sociétal, et une population demandeuse de plus d’ouverture. Pour plus d’informations : https://cecinestpasunecrise.org/

[3] Le socialisme est un ensemble d’idées et de courants politiques apparus au 19e siècle et qui ont en commun une volonté de transformation économique, avec des conséquences politiques et sociales. Son objectif, aux échelles nationale et internationale, est de donner naissance à une société plus juste et plus égalitaire que celle née du capitalisme. GASTEUIL Quentin, « Socialisme : définition et histoire (19e siècle-20e siècle) », Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe, 14/02/05 (plus d’infos)

[4] Au départ masculin

[5] Il s’agit d’un prélèvement sur les salaires en partie payé par la·le travailleuse·eur, en partie par l’employeuse·eur, sans oublier en plus l’intervention de l’État.

[6] Soumission d’un individu, situation de quelqu’un qui est dépossédé.

[7] La sortie d’une logique marchande/d’économie de marché.