
Selon la dernière enquête « Génération 2024 » de Média Animation, réalisée auprès d’élèves du primaire et du secondaire, plus de la moitié des jeunes interrogé∙e∙s disent utiliser les réseaux sociaux et les conversations avec leurs proches comme source quotidienne d’information (notamment Instagram, Tik Tok et YouTube). Peut-on pour autant dire que celles et ceux qu’on appelle Digital natives ont un rapport moins conscient ou critique à l’information ? Déconstruisons quelques idées reçues.
Des Digital natives… qui n’en sont pas vraiment
L’arrivée des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) dès les années 90 a suscité un mélange de craintes et d’illusions. C’est dans ce nouvel « Eldorado technologique » que sont né·e·s celles et ceux qu’on appelle les Digital natives. Théorisée en 2001 par Mark Prensky, cette génération née dans un environnement numérique serait intuitivement plus à l’aise avec ces outils, contrairement aux Digital immigrants (autrement dit les générations précédentes) qui doivent apprivoiser ces nouvelles technologies. Cette connaissance accrue créerait chez « les jeunes » une approche différente du monde et de nouvelles compétences.
Quand on voit des parents lutter devant leurs écrans face à de très jeunes enfants qui utilisent un smartphone comme une extension de leur propre corps, le doute semble permis. Et pourtant… Comme plusieurs études l’évoquent, le facteur générationnel ne doit pas être isolé d’autres critères. L’environnement socio-économique, la race [1], le genre sont également des facteurs importants d’accessibilité et de connaissances des outils numériques. Il serait donc faux de croire que les jeunes représentent une masse uniforme et que le fait d’avoir accès à des technologies les rendent plus compétent∙e∙s que les générations précédentes. Pour le chercheur en Sciences de l’éducation Nicolas Roland : « Ces jeunes ont certes une habilité à se servir de certains outils. Mais ils ne savent pas toujours comment ils fonctionnent […] De même, ces compétences sont parfois limitées à un seul usage, en général récréatif […] Donc, leurs savoirs ne s’étendent pas automatiquement à d’autres outils, logiciels, techniques ni, surtout, à d’autres usages — académique et professionnel, notamment. »
Un esprit critique avant tout
La démocratisation d’outils tels que le smartphone et le développement des réseaux sociaux ont créé de nouveaux usages, notamment (mais pas uniquement) chez les jeunes.
On les dit abruti∙e∙s par leurs écrans, consommatrices∙ teurs passives∙ifs et dénué∙e∙s d’esprit critique… Mais est-ce vraiment le cas ?
Selon l’enquête Génération2024, si les jeunes utilisent énormément les réseaux sociaux pour s’informer, elles·ils expriment beaucoup de réserves vis-à-vis de la crédibilité de ces informations. Elles·ils ont tendance à vérifier les données évoquées, d’abord en se référant à la personne qui s’exprime puis en consultant d’autres sources sur internet ou en évoquant le sujet avec d’autres personnes. A contrario, elles·ils considèrent la presse écrite et la télévision (qu’elles·ils continuent de consommer grandement) comme des médias fiables, mais peu intéressants.
Comme l’explique l’auteur Julien Lecomte « Évidemment, un jeune aura plus de chance de passer du temps sur Snapchat et Tik Tok qu’une personne âgée. Mais ce temps passé sur les réseaux ne dit rien de sa capacité à analyser la qualité de l’information à laquelle il est confronté. On a tôt fait de rejeter la faute sur les pratiques des jeunes. Les réseaux, les jeux vidéo, les influenceurs vidéastes seraient responsables d’une incapacité de la jeunesse à démêler le vrai du faux. Mais il faut se poser la question de savoir pourquoi le vrai et le faux sont difficiles à identifier en ligne. Plein d’acteurs qui ont d’autres priorités que le respect des faits et l’émancipation des citoyens inondent les espaces en ligne de contenu de piètre qualité. Il devient difficile de faire le tri. »
Même constat chez les 18-34 ans qui, selon les résultats d’une enquête française s’informent plutôt bien et ont conscience de certains biais dans le traitement de l’information.
Paradoxalement, ce sont plutôt les + de 65 ans qui ont tendance à relayer de fausses informations [2]. Comme l’explique Jeremy Hamer, professeur d’éducation aux médias, les Digital natives sont d’une nature plus méfiante face à l’information : « Leur posture de départ ne peut pas être réduite à celle d’une adhésion évidente ou systématique. Cette forme de méfiance, qui touche aussi les formats professionnels classiques, est très intéressante. »
Autre élément à déconstruire, le fait que les jeunes ne sont pas intéressé∙e∙s par l’information. Elles·ils s’y intéressent au contraire grandement [3], mais avec un autre rapport à l’information que les générations précédentes, liées à des usages et à des centres d’intérêt différents. Ainsi, selon une enquête française menée auprès des 16-30 ans en 2022, celles·ceux-ci aimeraient que les médias abordent davantage les questions environnementales et les sujets sociaux.
Elles·ils sont également à la recherche de médias généralistes, mais avec des formats adaptés à leurs usages, qui soient rapides et clairs [4].
Lutter contre la vulnérabilité numérique
La vulnérabilité numérique comporte de nombreuses dimensions. Non-possession de technologies numériques, absence de compétences techniques ou difficultés à utiliser les technologies à son avantage en font partie. Si certain·e·s parlent de fractures générationnelles, nous avons pu constater que l’âge n’est pas le seul critère dans l’accès et la compréhension des outils numériques.
Opposer différentes générations en ne s’intéressant pas aux inégalités plus profondes qui marquent nos sociétés représente donc une approche trop binaire de la question. Il est, par conséquent, nécessaire de favoriser une éducation aux médias tenant compte des différentes réalités sociales, du genre, de la race et de l’âge.
Face à nos évolutions de comportement, gardons avant tout un regard nuancé. Évitons de céder aux paniques morales et portons un regard empathique et critique sur nos usages (ou non) des outils du numérique.
[1] Pour rappel, la race biologique n’existe pas, il s’agit d’une construction sociale.
[2] Ici encore, d’autres critères peuvent entrer en compte comme le genre, le niveau d’études, etc.
[3] Selon une enquête réalisée auprès des jeunes Français∙es pour le Media « The conversation », 68 % des 18-24 ans suivent l’actualité avec grand intérêt. C’est moins que chez les plus de 35 ans (80 %). Cela atteste cependant d’une forme d’intérêt pour l’information. Pour en savoir plus
[4] Citons notamment certains chaines d’informations comme Brut, Konbini ou encore Hugo Décrypte.




