En 2023, des dizaines d’associations, dont Soralia, descendent dans la rue sous l’impulsion, notamment, d’une coalition menée par la FGTB. Leur objectif : défendre le droit de protester qui est menacé par un projet de loi au niveau fédéral. Une mobilisation qui portera ses fruits. Retour sur un succès porteur d’espoir avec la Secrétaire fédérale de la FGTB, Selena Carbonero.

Depuis quelques années, en Belgique, le droit de manifester est peu à peu menacé par nos dirigeant·e·s politiques. Pouvez-vous nous expliquer comment cela se traduit concrètement ?

Les menaces se manifestent de plusieurs manières. Elles sont très concrètes, et touchent directement les organisations syndicales, notamment à travers des atteintes à l’égard du droit de grève. Par exemple, on dissuade l’organisation des piquets de grève. On menace également de réduire la protection qui sera accordée à la·au candidat·e non-élu·e à des élections sociales [1], ce qui va avoir comme conséquence une crainte de se porter candidat·e. Or, le droit de protester, c’est aussi le droit de porter la voix des travailleuses·eurs dans les collectifs de travail, en contradiction à la loi du plus fort qui est imposée par le lien de subordination du contrat de travail. On voit aussi se multiplier les sanctions administratives communales. Pour les grandes organisations, ça a moins d’impacts, car on a les moyens d’anticiper et de réagir. Mais pour des petites structures, comme des collectifs citoyens, c’est très contraignant. On nous oblige à respecter de nombreuses conditions, qui peuvent dissuader, voire empêcher, l’organisation de mobilisations. Et donc on constate que le droit de protester, là où il devrait être garanti par les autorités, est en fait mis à mal par toute une série de dispositifs légaux et réglementaires. Enfin, dernière préoccupation : le dénigrement constant auquel sont confronté·e·s les organisations syndicales, mais aussi les activistes, où on assimile la·le protestataire à un·e criminel·le. C’est un discours qui est principalement porté par la droite, et qui crée un narratif négatif autour du droit de protester. Or, c’est un droit qui doit être protégé.

Les organisations syndicales ont réagi face à ces menaces et se sont organisées pour riposter. Comment cette mobilisation s’est-elle mise en place ?

L’évènement qui nous a réellement alertée en tant qu’organisation syndicale date de 2021, lorsque la condamnation de 17 militant·e·s et responsables de la FGTB à la suite d’une action de blocage du pont de Cheratte en octobre 2015 a été confirmée par la Cour d’appel de Liège. À partir de ce moment-là, on s’est dit que ça dépassait les organisations syndicales, que ça allait toucher tout le monde, et donc qu’il fallait qu’on élargisse le rapport de force, qu’on prenne nos responsabilités, notamment pour défendre les structures « plus fragiles ». On a donc invité nos homologues syndicaux, mais aussi la société civile pour se mobiliser collectivement. Et c’est de là qu’est née la coalition « droit de protester » qui nous a permis de réagir quand le projet de loi introduisant dans le Code pénal un article permettant les interdictions judiciaires de manifester a été déposé sur la table. Les contacts étant là, les relations étant consolidées, on était prêt·e·s et d’accord sur un certain nombre de principes, de valeurs fondamentales et sur nos enjeux et objectifs prioritaires. C’est ça qui a permis à la dynamique de prendre une autre ampleur et de se poursuivre aujourd’hui. Et, in fine, notre vigilance et la pression sur les politiques ont permis le retrait du projet de loi.

Selon vous, pourquoi est-ce important de se mobiliser pour défendre ce droit ?

Certain·e·s veulent restreindre l’exercice de la démocratie au fait d’aller voter. Or, ça ne se limite pas à ça. La démocratie est profondément liée au fait qu’il y ait des contre-pouvoirs. En ce qui concerne la FGTB, cela se traduit par la concertation sociale, mais aussi la participation des travailleuses·eurs via leurs représentant·e·s syndicales·aux. Et puis ce sont les corps intermédiaires (syndicats, mutualités, associations, etc.) qui permettent aux citoyen·ne·s de garder un oeil sur comment le pouvoir est exercé par nos responsables politiques entre deux élections, d’évaluer si elles·ils respectent leurs engagements et si ces engagements n’ont pas des conséquences négatives sur leurs vies. Donc clairement, le droit de protester est essentiel, et ce n’est pas pour rien qu’on a dû se battre pour l’obtenir. C’est une manière d’éviter que ça soit la loi du plus fort qui s’impose.

Face au nouveau gouvernement fédéral et à une droitisation de plus en plus importante de notre société, quels sont, selon vous, les enjeux à venir concernant le droit de protester, et plus globalement, pour la liberté d’expression ?

Pour ce qui est du droit de protester, malheureusement, on voit revenir dans l’accord de coalition du nouveau gouvernement fédéral (coalition « Arizona ») l’interdiction judiciaire de manifester. Elles·ils font aussi le lien entre le droit de grève et le fait de trouver des solutions avec les organisations syndicales pour éviter que des casseuses∙eurs participent aux grèves. Elles·ils sont également en faveur d’un processus visant à faciliter et à augmenter la possibilité d’infliger des sanctions administratives communales. Elles·ils ont une vision sécuritaire et plus frontale de la gestion de l’espace public, avec le déploiement plus fréquent de la police. On est aussi attentives·ifs à ce qui se passe par rapport aux mutualités et la volonté de les empêcher de porter leur vision politique de la Sécurité sociale. Ça aussi c’est une atteinte au droit de protester, parce que si on vise les mutualités aujourd’hui, on visera d’autres structures demain. Et au-delà de ça, on doit être vigilant·e·s face à l’augmentation de la surveillance numérique policière. On est donc face à un gouvernement qui ne supporte ni la contestation ni la contradiction. La liberté d’expression ne va que dans un sens, c’est la leur qui doit être dominante et c’est la loi du plus fort qui doit s’imposer. Et donc je pense qu’il y a un réel danger en termes d’exercice de la démocratie à partir du moment où on veut empêcher une série d’organisations ne serait-ce que d’être critiques par rapport à ce que porte l’actuel gouvernement comme projet de société. Surtout qu’il s’agit d’un projet de société basé sur l’exclusion, la division et la stigmatisation. Donc c’est clair qu’il va falloir continuer à se mobiliser, on va devoir être fort·e·s et résistant·e·s et c’est ce qu’on compte faire, en tant qu’organisation syndicale, mais aussi avec la coalition « droit de protester ».

[1] Les élections sociales sont des élections organisées tous les quatre ans dans les entreprises belges comptant au moins 50 travailleuses∙eurs. Elles ont pour objectif d’élire des délégué·e·s du personnel pour le Comité de prévention et de protection au travail (CPPT) et/ ou le Conseil d’entreprise (CE).