Lancé en 2007, le projet pilote Caravelles, fruit d’une collaboration entre le Comité subrégional de l’ONE et la Commission subrégionale de l’AVIQ en Brabant wallon, accompagne depuis lors les professionnel·le·s dans l’accueil des enfants à besoins spécifiques [1]. Ce service soutient aussi bien les crèches, les accueillant·e·s à domicile que les structures d’accueil temps libre. C’est une véritable bouffée d’air frais pour les équipes. Rencontre avec Marie Bouckenooghe, directrice de l’ASBL Caravelles.

Pouvez-vous me présenter l’ASBL Caravelles?

En tant que service de soutien à l’accueil d’enfants en situation de handicap dans les structures d’accueil dites « ordinaires », les actions de Caravelles se déclinent autour de 4 missions principales : informer sur les ressources qui existent en matière d’inclusion et de handicap, présenter nos services pour que les professionnel·le·s sachent que nous pouvons les soutenir, les former et les sensibiliser à l’accueil inclusif. Enfin, notre mission principale est d’accompagner les équipes sur le terrain. Nous intervenons dans toute la province du Brabant wallon. Des dispositifs similaires existent dans les autres provinces.

C’est un service entièrement gratuit et il n’est pas nécessaire qu’un diagnostic soit posé pour que l’on puisse bénéficier de notre soutien. Dès que le développement d’un enfant interpelle une équipe, celle-ci peut nous contacter. Nous pouvons aussi être mobilisées si une équipe souhaite mettre en place un accueil plus inclusif de façon proactive ; pour réfléchir sur son projet d’accueil par exemple.

Dans quel cadre les structures de l’accueil de la petite enfance vous contactent-elles ?

Nous intervenons à la demande des équipes. Nous les accompagnons dans la mise en place d’un processus réflexif sur leurs pratiques pour voir comment elles·ils peuvent rendre leur lieu d’accueil plus inclusif et faire en sorte que l’environnement proposé réponde aux besoins de tous les enfants. Le point de départ est généralement l’accueil d’un enfant à besoins spécifiques. Les professionnel·le·s sont souvent prêt·e·s à accueillir ces enfants mais il arrive qu’elles·ils se sentent démuni·e·s ou en questionnement. C’est notamment le cas lorsqu’un enfant présente des particularités dans son développement sans qu’aucun diagnostic n’ait encore été posé. Cette situation est fréquente dans l’accueil des enfants de 0 à 3 ans, période où les signes d’un développement singulier émergent souvent de manière progressive. Les équipes se retrouvent alors dans une posture délicate, observant un développement qui les interroge, sans savoir comment partager leurs observations avec les parents.

Concrètement, comment accompagnez-vous les équipes du secteur de la petite enfance ?

Nous leur proposons de cheminer avec eux, en fonction de leurs réalités. Nous proposons des temps d’observation, des temps de réflexion et un éventuel renfort en personnel. Tout dépend de l’analyse des besoins de l’équipe accompagnée. Nous adaptons en permanence le dispositif de soutien. L’objectif est de les soutenir dans la mise en place d’un environnement capacitant. Nous tentons d’identifier ensemble ce qui peut être ajusté au niveau de l’aménagement de l’espace, des repères spatio-temporels, des postures professionnelles (disponibilités, qualité de présence, bienveillance), des propositions ludiques car toute la démarche réflexive spécifique à l’inclusion prend appui sur les pratiques de base. L’accueil de l’enfant à besoins spécifiques est une porte d’entrée pour réfléchir aux pratiques de manière globale. Cet accueil permet de constater que, dans chaque milieu, il y a énormément de ressources et que parfois un soutien est juste nécessaire pour les remobiliser.

Nous accompagnons souvent des équipes qui accueillent un enfant à besoins spécifiques, qui ont déjà fait beaucoup de choses et qui se sentent à bout de souffle parce qu’elles ne voient plus comment soutenir l’enfant, comment répondre au mieux à ses besoins tout en tenant compte des besoins des autres enfants accueillis. Au travers de notre accompagnement, nous tentons de réveiller leur créativité, de les soutenir pour oser faire différemment, « sortir des sentiers battus », questionner ce qui est mis en place. Cette démarche réflexive continue reste compliquée car le secteur est en difficulté et en souffrance.

Nous portons les équipes le temps dont elles ont besoin pour qu’elles puissent porter les enfants au quotidien. Nous prenons soin de l’équipe pour qu’elle puisse prendre soin des enfants.

Y’a-t-il des a priori de la part des professionnel·le·s?

Lorsque nous accompagnons un milieu d’accueil, il est important de vraiment cheminer avec l’équipe, de partir de ses pratiques, de ses expériences, de ses ressentis par rapport à l’accueil d’un enfant « différent ». Nous travaillons beaucoup au départ sur les représentations et les émotions que cet accueil suscite. Il peut y avoir des réactions très variables, parfois au sein d’une même équipe. L’idée est de pouvoir accueillir leurs ressentis en créant un lien de confiance dans le respect de leurs pratiques actuelles et de leur rythme tout en ouvrant à un autre regard. Nous n’avons pas de solutions toute faites. Nous ouvrons un espace qui leur permet de déposer des ressentis et de réfléchir à leurs pratiques. C’est important de laisser cet espace, car elles·ils en ont peu.

De quoi votre ASBL aurait-elle besoin ?

Dans l’idéal, il serait bénéfique de pouvoir engager plus de personnel au sein de notre structure pour accompagner au mieux les milieux d’accueil. Nous répondons parfois de manière minime aux réels besoins du terrain parce que nous ne savons pas leur proposer un accompagnement à temps plein. Nous jonglons entre la volonté d’autonomiser les équipes (ce qui est notre objectif) et les réalités de terrain. Parfois, certains milieux sont en souffrance dans leur fonctionnement, ils auraient besoin d’un petit coup de pouce en plus que nous ne pouvons pas toujours leur fournir.

Si une équipe semble à bout de souffle, à court de pistes, nous renforçons notre soutien au maximum de nos possibilités. Si, a contrario, des professionnel·le·s ont déjà été bien soutenus et ont (re)trouvé des ressources, nous envisageons ensemble un allégement voire une clôture de l’accompagnement.

Face à un gouvernement qui fragilise l’accès à certains services publics et droits sociaux, comment vous positionnez-vous ?

Je choisis de rester optimiste. L’inclusion représente une vision de société que nous souhaitons partager largement. Pour qu’elle devienne réalité, il est essentiel de s’en donner les moyens, mais aussi de s’appuyer sur des valeurs profondes, où chacun peut trouver sa place et être reconnu dans son unicité. À travers notre projet, nous souhaitons démontrer que l’accueil d’enfants à besoins spécifiques est non seulement possible, mais qu’il peut s’appuyer sur les ressources déjà existantes ou nécessiter des adaptations assez simples. Il est toutefois fondamental de valoriser et de soutenir les professionnel·le·s de ce secteur qui jouent un rôle clé dans la construction des adultes de demain.

En posant des actions concrètes, guidées par une vision inclusive et des valeurs humaines fortes, nous voulons transmettre un message positif : investir dans l’inclusion dès la petite enfance a un impact durable, tant pour les individus que pour la société. Nous espérons ainsi susciter l’envie d’explorer et d’adopter d’autres pratiques inspirantes.

[1] « L’enfant à besoins spécifiques est un enfant dont les caractéristiques singulières influencent son développement global. Ces caractéristiques peuvent être d’ordre physique, sensoriel, intellectuel, cognitif, psychique ou social. Elles requièrent une attention et des adaptations particulières dans l’environne ment d’accueil. » ONE (2020). Cadre de référence pour l’accueil des enfants à besoins spécifiques dans les milieux d’accueil de la petite enfance.

Autrice
AutriceElise Voillot