Dans son ouvrage sur l’invisibilisation des femmes à travers l’Histoire, Titiou Lecoq avance que « chaque génération de féministes est condamnée à la répétition à cause de l’effacement, de l’oubli du travail de celles qui l’ont précédée ». Pour lutter contre l’amnésie collective, voici un retour sur quelques coups d’éclats féministes du 20e siècle [1] en Belgique qui ont mis un bon coup de pied dans la fourmilière.

Une militance aux multiples formes

Création de nouvelles lois, évolutions réglementaires, manifestations, occupation de l’espace public, actions humoristiques ou « provocatrices », publications diverses, désobéissance civile, activisme en ligne… les méthodes des féministes ne manquent pas pour lutter.

Parmi ces moyens d’action, on distingue globalement deux tendances différentes. D’une part, il y a les féministes optant pour une approche « réformiste » de la société. Elles considèrent que l’égalité femmes-hommes adviendra par la voie légale, par des réformes progressives de la loi. D’autre part, il y a les tenantes d’une approche plus « directe », ciblée sur des actions notamment dans l’espace public pour marquer les esprits et faire réfléchir la population. À noter que ces deux approches peuvent coexister au sein d’une même association.

Lutter dans la loi

En Belgique, les combats féministes de la première moitié du 20e siècle portent particulièrement sur l’acquisition de droits sociaux, économiques et politiques pour les femmes. Les années 1930, marquées par un chômage massif et une diminution de la natalité, deviennent le théâtre d’une série d’attaques envers le travail des femmes. Circulaires ministérielles et arrêtés royaux s’emploient à le réduire et à restreindre les bénéfices qui en découlent, comme les salaires ou la protection sociale. La riposte s’organise lors d’un grand rassemblement, le 21 décembre 1934 dans la salle de la Grande Harmonie à Bruxelles, auquel assistent près de 2000 personnes ! De ce rassemblement découle ensuite un « Comité de vigilance » qui surveille et s’oppose aux futures mesures problématiques mais aussi une « Commission nationale du travail féminin » pour étudier la situation.

L’égalité juridique constitue un autre cheval de bataille des féministes réformistes. Les propositions de loi, qu’elles déposent à tour de rôle, prévoient par exemple que les époux puissent choisir d’un commun accord le domicile conjugal (décision jusqu’alors laissée à l’homme) ; que la femme mariée puisse aller en justice, exercer une profession, posséder une industrie ou un commerce sans l’autorisation du mari ; que l’administration et l’autorité sur les enfants ne soient plus le droit du mari seul mais des deux époux qui l’exerceraient conjointement. La puissance « maritale et paternelle » ne sera réellement abolie qu’à partir des années 1960 et 1970, après la modification des lois sur l’autorité paternelle et sur les régimes matrimoniaux.

Lutter dans la rue

En février 1966, 3000 ouvrières se mettent en grève à la fabrique nationale d’armes à Herstal pour protester contre l’inégalité salariale : elles touchent 25 francs de l’heure contre 32 pour les ouvriers les Les luttes ne meurent jamais moins bien payés. Le 16 février, « elles font le tour des halls pour arrêter celles qui travaillent encore et organisent une manifestation improvisée dans les rues d’Herstal, en chantant une chanson composée la semaine précédente » : Le travail c’est la santé, d’après une chanson populaire d’Henri Salvador dont elles ont modifié le texte. La grève à la FN durera 11 semaines et un jour. Un de ses points d’orgue est sans conteste la marche sur Liège, le 25 avril 1966, durant laquelle plusieurs milliers de personnes manifestent dans les rues de la ville. Le slogan « À travail égal, salaire égal » est sur toutes les lèvres.

Cette grève emblématique et les manifestations de mai 68 participent à l’émergence de nouveaux groupements féministes dont les Marie Mineur et les Dolle Mina. Elles contestent fortement l’utilisation de la voie politique et législative pour faire avancer les droits des femmes. Opposées à toute forme de hiérarchie et de bureaucratie, elles mènent des actions directes avec humour et provocation. C’est ainsi qu’en 1971, les Dolle Mina infiltrent le concours de Miss Belgique. L’une d’elle, Danielle Colardyn, parvient jusqu’en finale. Devant le jury, elle s’exclame « Non aux concours de beauté ! Nous ne sommes pas du bétail ! ». Ses complices, dans la salle, distribuent des tracts au public.

Les luttes ne meurent jamais

Aujourd’hui, la sexualisation du corps des femmes continue d’être dénoncée par d’autres types d’actions directes. Citons notamment la page Facebook « Sexisme Flop » qui dénonce les publicités stéréotypées. Cadrage des photos, messages rétrogrades, taxe rose : tout est passé au crible [2]. Interpellées en direct, certaines marques s’excusent et retirent les contenus problématiques. Tout·e citoyen·ne peut participer à cette action depuis son salon ! Par exemple en signalant, via Messenger, des publicités sexistes aux créatrices de la page ou en tagguant les marques pour les inciter à réagir.

Comme titrait le magazine Axelle, la taxe rose met en évidence que « les femmes gagnent moins mais paient plus ». Ce phénomène rappelle l’importance de poursuivre, en parallèle, la lutte pour l’émancipation économique des femmes. À l’heure actuelle, les lois sur la fiscalité, les pensions ou l’individualisation des droits sociaux ne leur sont pas favorables.

Le féminisme, qu’il soit réformiste ou dans la rue n’a pas dit son dernier mot !

[1] Pour en apprendre davantage, nous vous suggérons la lecture de notre outil « 100 ans de lutte pour les droits des femmes au travers des actions des FPS », https://s.42l.fr/0-ngkYQW, à partir de la page 20.

[2] La taxe rose est la différence de prix entre des produits et services ciblant les consommatrices et ceux ciblant les consommateurs. Rasoirs, gels douche ou coupe de cheveux « pour femme » coûtent, entre autres, plus cher. La différence de prix est valable également au niveau des jouets estampillés « filles » ou « garçons ».

Autrice
AutriceLaudine Lahaye